- Kdix
Un toit pour moi, à vot' bon coeur, m'sieurs-dames
Une autre votation, un autre sujet à creuser, afin de bien comprendre et de ne pas voter au hasard ! Le système démocratique suisse nous force à réfléchir, ce n'est pas la moindre de ses qualités.
Cette fois-ci, le thème nous concerne tous. Nos besoins essentiels - avant de s'interroger sur le sens de la vie, la reconnaissance sociale, les projets professionnels - sont assouvir sa faim et sa soif, se sentir en sécurité... et avoir un toit.
Avoir un toit, n'est-ce pas déjà le cas de la grande majorité d'entre nous ? Oui, mais voilà - il nous faut un logement à un prix abordable - et nous voilà déjà dans un tout autre domaine que la satisfaction des besoins primordiaux. Nous sommes d'ores et déjà sur le terrain du "social", mot fourre-tout que l'on rencontre à tout bout de champ dans notre société d'abondance. Un logement abordable, cela veut dire un logement qui me laisse assez de ressources pour acheter d'autres choses. Cela veut dire aussi un logement suffisamment grand, moderne, fonctionnel, pour réaliser mes besoins plus complexes que sont l'estime de soi, la reconnaissance sociale, la confiance...
Alors, est-ce à l'état de m'aider à assouvir mes besoins auxiliaires ? Pourquoi pas, mais il n'y a qu'un moyen pour y arriver : la redistribution, c'est-à-dire l'allocation à certains des impôts prélevés sur tous. C'est ainsi que nos sociétés fonctionnent, il n'y a absolument rien d'anormal à cela. La question que je vois en filigrane, c'est plutôt celle-ci : comment organiser cette redistribution, et quel niveau d'argent public faut-il y allouer, sans provoquer des effets de bord négatifs ?
En Suisse existent, comme dans de nombreux autres pays, des maîtres d'ouvrage d'utilité publique, dont l'activité consiste à acquérir des terrains et à construire des logements, loués ensuite à prix coûtant à des locataires regroupés en coopératives d'habitation. Ces logements sont en moyenne 20% moins cher que le marché, même si cette moyenne peut cacher des disparités importantes. Le mouvement coopératif a connu un boom lors de l'importante pénurie de logements d'après-guerre, puis un autre essor - relativement plus faible - autour des années 2000. Le système fonctionne très bien, les bénéficiaires sont ravis car ils bénéficient de logements à un prix inférieur au marché.
Mais voilà : tout le monde n'en bénéficie pas ! Il faut d'abord que la coopérative ait accès à un terrain à bon prix. A défaut de foncier, pas de construction ! En outre, les files d'attente pour devenir sociétaire peuvent être longues. Certaines personnes accèdent à ces logements, d'autres non, sans que l'on en sache toujours les raisons.
Qu'à cela ne tienne, me direz-vous. Il suffit d'augmenter le nombre de terrain alloués aux maître d'ouvrage d'utilité publique, et de multiplier les coopératives d'habitation. Davantage de gens bénéficieraient de logements sociaux, et tout le monde serait content.
Tout le monde ? Peut-être pas... Ce système conduirait à augmenter le nombre d'expropriations, qui sont sans doute bénéfiques au bien public, mais foulent aux pieds le droit de propriété. Il induirait également une distorsion de prix, au détriment des maîtres d'ouvrage privés, qui ne verraient plus d'incitation à réaliser des logements à bas prix. Enfin et surtout, il augmenterait l'injustice qui consiste à se voir refuser une place dans une coopérative d'habitation alors que le voisin ou l'ami en obtient une...
Le problème s'aggrave quand on lit le texte de la votation. Il s'agit d'établir un quota: au moins 10% des nouveaux logements construits en Suisse doivent appartenir à des maîtres d'ouvrage publics, c'est-à-dire essentiellement des coopératives. C'est beaucoup moins qu'en France ou que dans d'autres pays d'Europe, mais tous ces pays souffrent des effets de bord de cette politique. Le premier est l'absence complète d'opérateurs privés sur le marché locatif bas de gamme, ce qui veut dire que concrètement, quand on est pauvre, on ne peut que se loger dans des HLM. Le deuxième est la faible mobilité des locataires : si, à force de patience et éventuellement de petit coup de pouce, on obtient un logement social, on s'y accroche ! En outre, les cantons et les communes recevraient un droit de préemption, leur permettant de se substituer aux opérateurs privés dans les transactions de terrains à bâtir. Enfin, imposer un quota signifie mettre en place une administration lourde pour vérifier sa mise en place, mettre en place des actions correctrices quand le quota n'est pas atteint, et redresser les contrevenants...
Alors, faut-il renoncer à aider les ménages les plus modestes ? Ne serait-ce pas injuste ?
Non, il n'est pas question de renoncer à aider ceux qui en ont besoin. Encore une fois, le modèle démocratique suisse joue à plein. Le gouvernement fédéral a déposé une "contre-initiative", qui consisterait à abonder immédiatement le fonds destiné à octroyer des prêts aux coopératives. Cette mesure boosterait immédiatement la capacité des coopératives d'habitation à jouer pleinement leur rôle, c'est-à-dire venir en aide aux ménages les plus modestes. Solution pragmatique, aux effets immédiats, plutôt qu'une loi contraignante, qu'il faudrait plusieurs années pour mettre en place, et qui nécessiterait un contrôle important !
Voilà donc, encore une fois, le choix entre deux alternatives claires, argumentées, débattues sur la place publique pendant plusieurs semaines. Laissons les Suisses faire leur choix - quel qu'il soit, il sera accepté par tous et mis en place par le gouvernement - et longue vie à la démocratie suisse !